Ce sont des écrivains, des peintres, des sculpteurs. Aventuriers de l'impossible. Ce sont des bribes de leurs vies. Tous des chercheurs davantage que des trouveurs. J'ai eu le privilège de les côtoyer. Ce qu'ils poursuivent est ce qui toujours se dérobe. La grâce est une fieffée baleine blanche.
Fables, souvenirs, choses lues, vues, transposées ou inventées, les historiettes rassemblées ici ont pour thème commun le portrait, les portraitistes et les portraiturés. On y croise pêle-mêle Vigée-Lebrun, Rembrandt, David Hockney et Louise Bourgeois, Lucian Freud, Monsieur Bertin, Saul Steinberg, Le Bernin ou Bram Van Velde, le sultan d'Istanbul, l'empereur de Chine ou Martin Luther. Plotin déjà mettait en garde contre ce vilain usage de laisser derrière soi une image de notre apparence, mais nous n'avons pas cessé pour autant de nous livrer à ce besoin de repousser la mort par l'image.
C'est un monologue intérieur, Louise Bourgeois parle, se parle, passe en revue des bribes de sa longue vie, dans le désordre. Tout est ici imaginaire, ce n'est pas une biographie. Mais tout est plausible, les humeurs, les saillies, les ressentiments, les pudeurs. C'est le portrait, de mémoire, d'une femme qui a voué sa vie à son art, une vie qui se confond avec le siècle, et qui a été reconnue tardivement comme l'une des artistes majeure de notre temps. J'avais de l'affection pour elle.
J. F.
Cet ouvrage est une réédition numérique d'un livre paru au XXe siècle, désormais indisponible dans son format d'origine.
Des contes, des fables, des apologues, des anecdotes, inventées ou recopiées, qui ont en commun le regard porté sur les choses et les êtres par ceux que les images fascinent et qui en font profession. Des portraits imaginaires de peintres qui ne sont pas sans rapports avec leurs doubles réels. Pêle-mêle, Mondrian coupable d'aimer les fleurs, Pontormo le reclus, David Hockney touriste hors pair, Gilles Aillaud et les éléphants, le coup de pinceau de Roy Lichtenstein et ses avatars, Picasso visité par le diable, Beckett entre un poisson rouge et un perroquet, Raphaël donnant une leçon de dessin, le vieux canasson modèle de Géricault, le singe de la Grande Jatte, Saenredam et la géométrie, un chiot qui pisse devant la crèche de la nativité, le rêve secret d'Yves Klein, la main légère de Pierre Bonnard... Une même passion les obsède tous : regarder le monde et en faire des images desquelles la vie ne soit pas absente. Cela s'appelle la grâce, elle est fragile mais sans elle, rien.
Il s'agirait du recensement méthodique d'un passé que la mémoire, le temps, la rumeur publique et le goût de l'affabulation auraient déformé. Il s'agirait de s'assurer de ce passé, de l'établir, de l'accréditer. Mais à peine le récit commence-t-il à prendre quelque solidité, de curieux retournements - feintes, ironie ou blocages -, viennent l'assaillir et le démanteler. Et celui qui l'énonçait, fuyant une identité fallacieuse, imposée de l'extérieur, s'efface sous le déferlement des questions étrangères. Dans le vide ainsi laissé, une autre voix reprend, qui à son tour invente un partenaire chargé de la réplique et condition de ce dialogue angoissé qui ne dit rien finalement, qu'une tension, une terreur et une attirance vers le moment où la vérité parle et fonde la légende : la mort, qui seule transforme les masques en visages.
Un homme marche, rêve, ment, dessine des visages, frôle des corps, court après ses mots, bute sur ceux des autres, se retrouve au détour d'une page, éberlué, balbutiant. Partagé entre le délire du raisonnement et l'attirance du vide, la logorrhée et le mutisme, il poursuit ce rêve impossible d'une vie au verso de la parole, d'un lieu où le précaire domine, lieu de la vacuité et du possible que tout livre instaure. Qu'est-ce que l'imagination ? Qu'est-ce que la mémoire ? Comment passer le temps quand le temps se passe de nous ? Tels sont les problèmes majeurs de ce récit qui arrive à faire éclater le cadre rigide de la page pour mettre en ordre, domestiquer une parole réticente ou rusée. Nulle chronologie, sinon bouleversée, mais aboutissement à ce pays, zone neutre où le mot fin n'a plus de sens.
Silhouette dans le paysage, lointain à peine distingué, profil perdu, le personnage est vu de dos, on ne saura guère ce qu'il pense ni où il va, mais il sera donné quelque aperçu de ce qu'il quitte, histoire d'un déclin, nature morte, scènes champêtres, menus travaux, un monde réglé, fragments de récits, accords parfaits, chant de la terre, dialogues interrompus, concepts troués, quelques dissonnances choisies, un étonnement prolongé, clapotis sémantique, grand air du catalogue, plaisir de l'énumération, ultime leçon de ténèbres, une défaillance systématique, l'obstinée dénégation de tout, échéance veut dire à la fois limite, pente et brusque dépression de terrain, c'est une frontière et une falaise, c'est, échec ou chance, ce qui échoit, notre lot, d'amont en aval, la retenue et sa vanité, une migration minuscule vers l'inexorable, la ligne imaginaire où ciel et terre se rejoignent, une persistante illusion d'optique.
Cet ouvrage est une réédition numérique d'un livre paru au XXe siècle, désormais indisponible dans son format d'origine.
L'art d'aujourd'hui, quand il n'est pas seulement un aimable divertissement, reste hanté par un conflit engagé dès ses origines, bien avant même que l'art se pense comme tel : figurer-défigurer, produire de l'image ou bannir l'image, capter l'illusion de la vie ou se réfugier dans le sublime d'une vibration lumineuse. Désir d'image et haine de l'image sont indissociables. Nous voulons dire et taire à la fois, montrer et cacher, créer et détruire. Le règne des images est celui des passions violentes, mais c'est un monde d'où la vulgarité est absente, c'est rare; et que la grâce parfois visite.
Des carnets tenus par le personnage principal du roman, construisent un récit, d'ellipse en ellipse. Mais où sont les événements? Sous le microscope de Soskine, des invasions, des hécatombes. Dans une tache d'aquarelle figurant le pétale d'une rose, des orages, des éclaircies. Sous le calme de Sidi. Dans les horoscopes chinois que dévoile Van Gulik. Dans les tressaillements de joie des oiseaux et des quadrupèdes au moment du coït. Dans l'étrange pouvoir du chapeau d'un mort. Dans la course vaine pour fixer les apparences de ce qui change. Dans les tremblements qui s'emparaient des Shakers lorsque l'Esprit descendait en eux. Dans les gémissements de tous les fantômes croyant leur fin venue. Dans les injonctions cérébrales de la mante religieuse. Entre les barreaux de bois d'une cage à grillon rapportée d'Orient. Dans la contamination des formes les unes par les autres. Dans les contours flous de l'identité. Dans l'ellipse. Dans les délires logiques de T. Narr. Dans la mélodie que dessinent les hirondelles sur un fil électrique.
«Rimes, échos, pastiches, hommages, simagrées, circonlocutions, reflets ; ces textes mendient un peu de sens, ils ne font que singer une manière. Ils disent combien nos désirs sont mimétiques.» Ce sont des poèmes. Ce sont des études. Il n'y a pas là de contradiction. Les artistes, tous les artistes, qu'ils soient ou non écrivains, reconnaissent des influences et même, parfois, les recherchent. Avec Le Singe mendiant, Jean Frémon a voulu rendre hommage à ceux envers qui il se sent redevable. Sculpteurs, peintres, écrivains, leurs rayons, ici réfractés, ne sont pas nécessairement reconnaissables ; ils sont le point de départ, références, prétextes ou arrière-plan : Ainsi de Albiach, Brown, Calder, des Forêts, Handke, Jabès, Meurice, Proust, P. Rotterdam, Bram Van Velde, Tàpies, Voss, Titus-Carmel, Jabès, Dupin, Noël, Musil, Leiris, Royet-Journoud.
Dans le jardin botanique, une sorte de réserve naturelle dont la chronique est tenue par un conservateur en chef érudit, méticuleux et passagèrement obsessionnel, se côtoient les derniers spécimens de quelques espèces en voie de disparition, faune et flore, dûment étiquetés, et tout ce petit monde, non moins étrange et menacé d'extinction : Sam, gardien de la ménagerie, un laconique bourru qui cultive le sarcasme, Gertrude, espiègle enjôleuse à la langue pointue, un peintre animalier en quête de modèles, une grappe de chercheurs excentriques : Soskine, fanatique du mimétisme, Dawkins, apôtre de la théorie des gènes égoïstes, Roman, géomètre des migrations, et leurs amis, un musicologue distingué aux manières fanées, un auteur dramatique qui aime prendre les gens au mot... Et puis aux deux pôles de ce champ magnétique où tous s'agitent en pure perte, Clémence et Karl, comme deux planètes contraires, tenant l'ensemble sous leur influence.
Cet ouvrage est une réédition numérique d'un livre paru au XXe siècle, désormais indisponible dans son format d'origine.